12 septembre 2014
Quand vous tuerez mes parents #1 (nouvelle).
Le dessous des cartes.
Ainsi débutait la nouvelle vie de Neil le Boucher: écrire à 8 heures, manger à midi, jouer en journée et ...le soir? Le soir, il tenterait de faire le point, de recoller les morceaux comme on dit, afin de comprendre pourquoi l'avaient laissé tomber et Scotland Yard et ses chers amis du journal Paris en ville.
Enquêtant pour le compte des Anglais sur un trafic présumé de neuroleptiques mais exerçant, en parallèle, la profession de reporter dans ce magazine branché, il n'avait pu s'empêcher d 'activer ses réseaux pour s'incruster, ni vu ni connu, dans les sous-sols du métro Chatelet afin d'y rencontrer quelques clochards. Grillé par Leduc, qui l'avait, par pure vengeance, dénoncé à la rédaction , il avait bel et bien sombré dans la schizophrénie et perdu les deux jobs. Aucun contact, désormais, ça lui apprendrait à vouloir jouer les durs. Babette, seule, s'était inscrite six mois dans la même école que lui, histoire de lui dire que « ça c' fait pas de griller les copains...et tu peux t'assoir sur ton fric: on t' connais plus: ni les flics, ni les collègues de travail. Point. » Leduc avait du s'arranger avec les RG: filer quelques photos de stars, adresses de militants ou planques de dealers et basta. Adios Neil!!!
Neil, poète, se consolait devant une bière au café du coin et griffonnait quelques vers sur une feuille de papier journal. Ce bar de cambrousse, il le fréquentait matin, midi et soir, parfois même le week-end et ne supportait plus de serrer des paluches dix fois par jour à toute la compagnie. Un bar de beaufs, en somme, perdu en rase campagne sur le bord de la Nationale. Il y avait aussi l'autre, au supermarché, qui servait des steaks le midi, et puis, plus loin, le seul ouvert le dimanche, qui était aussi le rendez-vous des pécheurs. Après, c'était la ville. Mais là, il n'avait plus le courage d'y aller.
Dix ans auparavant, il étudiait les beaux-arts à Paris, mais s'était en fait pris de passion pour la linguistique. Signifié, référent, signifiant...il en mettait partout dans ses dossiers. Par encore ceux des RG, mais les cours de l' Ecole. Son truc, c'était Vienne et Goya. Il y voyait des choses, leur trouvait des ressemblances aux Schiele, Klimt et aux peintures noires du Prado. D'ailleurs, c'était là-bas qu'il avait décidé d'être flic, à Madrid, après la visite du musée. Un soir d'été 88, après une ultime engueulade avec Coco, il s'était dit que son destin passait par les services secrets, ou un truc dans le genre. En fait, il en avait marre du Rock, de la fumette et des branchés du NightBird. Il ne les SUPPORTAIT PLUS, tout simplement. La solution était donc de traquer le dealer, chercher la came, quoi. Les études? Bah ça lui servirait de couverture, et dés la rentrée il irait s'adresser à...à...?
Il allait bien trouver. Quelques coups de fil, un ou deux rencards et hop: agent secret! Sûr qu'il aurait des trucs à leur dire, aux flics, avec la racaille qu'ils fréquentaient à longueur d'année, Coco et lui,
Bien sûr, c'était pour elle le plus emmerdant car il l'aimait bien, dans le fond, même un peu nympho, même un peu naïve. Planquée dans sa piaule à fumer des pétards, quand elle ne faisait pas l'ouvreuse pour un cinéma des grands boulevards, elle avait stoppé net ses études en Khâgne et dit adieu à Sciences-Po. Non, c'est non, elle voulait plus être banquière, comme son père.
Sa mère, docteure en Philo, lui conseillait Normale Sup, mais elle préférait les bonbons et les esquimaux. Un jour, elle serait productrice, comme sa copine Kari. Et elle dealait au Grand Rex, mais les études, pffff...
Et puis surtout, son truc, à Coco, c'était le SEXE !!! Elle matait tous les pornos sur Canal en s'envoyant des rails comme des voies de TGV et après c'était...Torride!!! Neil, qui révisait Saussure, Eco et Chomsky, se payait bien une petite partie de temps en temps, entre copines hein...
Mais il avait plus le cœur à ça: il voulait être brigadier ou quelque chose, se rendre utile...et ça le dérangeait de balancer sa nana. Mais bon, on serait conciliant, quand même. Parce qu'elles étaient chaudes, les copines de sa petite nana. Comme des bouillottes.
En attendant, il revoyait tout ça les yeux noyés dans sa Leffe, mâchouillant un rillettes-cornichons du patron, et à 30 ans il était...dans-la-merde.
C'était clair.
. Yeahhh!!!!
Camel, le boss du Bar de la Vallée, poussait toujours ce cri de guerre quand Neil pénétrait l'enceinte de son palace. Lui non plus ne se doutait de rien, et il avait là, en face de lui, un semi clochard qui empestait la Craven et buvait café sur café.
« Tu sais, Neil?! Tu permets que j'te tutoie? Ici, on a toujours du boulot! Regarde le papy: à 80 ans, il chasse encore le sanglier, tous les week-ends. Elle est pas belle la vie?! »
Perdu dans son Libé, Neil repensait aux croque-morts qu'il avait croisé à Chatelet. Eux mangeaient un jour sur deux et ne voyaient jamais la lumière du jour. Alors, qu'est ce qu'il s'en foutait, du grand-père et de ses sangliers. Sa séance d'écriture terminée, il n'avait plus qu'à glander au bistrot, en attendant le déluge, quand il reconnut la petite Charlotte s'échappant du parking en scooter. Sûr, c'était bien elle, la fille des Halles, celle qui le fournissait en casse-dalles deux fois par semaine, quand il en avait marre de la rapine et des gardes à vues. D'où sortait-elle? Elle? Ici? Dans ce trou?
« Camel, garde la la monnaie, j'ai une course à faire! » lança-t-il en s'engouffrant vers la sortie. Débarqué sur le parking, il ne trouvait qu'une maison de retraite, ainsi qu'une petite résidence low-cost et quelques bureaux. La seule enseigne qui attirait son regard était celle avec inscrit dessus, en gros: Bilan de Compétence. C' était tout ce qu'il voyait. D'où sortait-elle, Charlotte? De l'hospice, où bien vivait-elle dans le quartier? On était à 100 bornes de Paris, en pleine campagne, Evreux, sa banlieue et la Normandie des beaufs.
Vendeuse à la sauvette, elle était le dernier espoir de Neil de pouvoir déjeuner quand il avait épuisé toutes les arnaques du coin: restos basket, vole à la tire, etc.. Bien sûr, c'était toujours les restes, qu'on lui donnait, mais c'était mieux que rien. Thon crudités, jambon emmental..plus un coca, des fois. Tiède. De retour au bar, Camel lui expliqua, à sa demande, qu'elle bossait bien dans les bureaux par là , dans une boite précisément chargée de réaliser des bilans. DE COM-PE-TEN-CES ajouta-t-il en appuyant sur chaque syllabe, de son accent marocain. Elle passait parfois en fin de soirée, boire un Ricard et manger des cacahuètes, mais pas avant 19h. Pas bavarde, elle s'était installée dans le coin par amour, comme elle disait. On en savait pas plus, sinon qu'elle résidait sur Louviers et faisait la route tous les jours, même le samedi. Le Boucher demanda si elle avait un nom de famille, un téléphone ou une adresse mais Camel, lui, ne savait rien de tout ça. Kathy, sa femme? Pas plus et puis ces choses là ne regardent personne mon p'tit Neil.
On était Vendredi soir, et il serait là demain, à midi. On verrait bien. Il retourna inspecter le parking, comme ça, juste comme ça, mais ne trouva aucun indice. Sur les boites de la société trucmuche, aucun nom, pas d'e-mail, ni fax, ni téléphone. Tout juste était-il précisé, sur le portail de l'entrée, les jours et horaires d'ouverture : 10h19h du mardi au vendredi, 10h12h les samedi. Pas de prospectus, svp.
A demain, donc.
Enfourchant son solex, il rentrait chez lui sous la pluie, pensant peut-être trouver un peu d'aide chez la jolie Charlotte, visiblement reconvertie en assistante sociale. Ou bien un truc du genre. Chez lui, l'attendaient la soupe et une nuit blanche à suivre, une de plus...et toutes ces questions.
.La ville aux cent clochers.
Durand se sentait enfin chez lui. Après 15 ans d'armée, dont deux à l'hosto, il avait bien le droit de prendre un peu de bon temps. Casque Bleu en Bosnie, il avait assisté aux pires massacres sans pouvoir rien y faire. Puis, idem en Afrique. Déclaré psychotique par un médecin de l'armée, on l'avait gavé de médocs 20 mois durant avant de le renvoyer en France. Il voyait, depuis, le Professeur Carrière qui lui avait prescrit un subtile mélange de Clopixol, Tercian, Depakote pas piqué des hannetons. Ça calme, ce genre de cocktail. Mais son pote Neil, qu'était-il devenu ?
On le disait malade, lui aussi, et résidant permanent chez sa mère. Comment le retrouver, sinon en se pointant à l'improviste ? Car, bien sûr, Madame était sur liste rouge.
La nouvelle avait le tour de la région : Neil était fou. Pour Durand, c'était un autre problème, c'était la guerre, le sang, le meurtre. Mais le Boucher, on le disait incurable et complètement mystique.
Il parlait aux esprits ? Et alors, tout le monde fait ça en Afrique. Sauf que là, c'était la Normandie, le pays des vaches et du 44. Donc allez hop : Navarre. Et c'était pas l’hôpital le plus riche. A l'occasion d'une visite à sa tante quelques années avant, Durand avait noté la vétusté des locaux, les fientes de pigeons partout et les toilettes dégueulasses. C'était pas encore la brousse, mais presque. Le pire, ça devait être pour Réjane, sa mère, qui aimait tant son gamin. Trop, sûrement, et de manière maladroite. Elle devait être retournée à bloc : lui, le grand reporter, le correspondant vedette, qui ne lâchait jamais rien même devant un ministre...
Comment le soignait-elle ? Est-ce qu'elle savait faire, au moins ? Et qu'allait-il foutre avec des clodos ? On disait, toujours dans la région, qu'il avait mis le paquet, goûtant aux alcools et aux drogues des mecs de Nanterre. On le décrivait traînant dans sa pisse, Gare de l'Est, et couvert de parasites. Mendiant un verre d'eau.
Qui l'avait retrouvé ? Qui avait prévenu qui ? Et son canard, on l'avait...viré ! Comme une daube, moyennant finances.
Une vie à pleurer.
Durand, récemment installé à Rouen, en avait parlé à Carrière : ça arrive comment, ces choses là...
Le bon médecin lui avait indiqué quelques pistes comme le surmenage, la génétique où même le manque de sexe. Mais Neil? Et Coco ? Il se décidait, un beau matin, à grimper jusqu'à Evreux et, vaille que vaille, à retrouver son copain d'enfance. Il roulerait tôt le matin et pensait faire une halte au Bar de la Vallée, pour manger un morceau. Puis, direction St Germain, quitte à se faire jeter comme un chien.
Il partirait demain samedi mais là, il était un peu tôt pour dormir et malgré les médocs, il décidait de boire une bière sur les quais, en solo.
Il pleuvait un peu sur l'Agglo mais il faisait bon vivre, ici. Depuis quand, depuis quand n'avait-il pas fait l'amour ? Six mois ?
A peu près, en fait, et ça lui manquait un peu. La dernière fois, il s'était endormi direct : un amour de passage. Mais quand même, ça le chatouillait de trouver une petite minette dans le quartier et qui sait...la grande passion ? Lui qui n'avait connu que des histoires difficiles avec ses collègues alors que son pote, lui, pouvait tout se permettre. Malgré Coco. La jeunesse, quoi !
Il repéra, tout à coup, une petite rouquine habillée en garçon et portant casquette qui le dévisageait fixement de l'autre côté du boulevard. Il lui fit signe d'approcher mais la garçonne s'engouffra dans le bus direction Canteleu et, le véhicule s’éloignant des quais à vitesse grand V, il ne put l'identifier formellement mais aurait juré -ça oui ! avoir reconnu Coco.
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