11 septembre 2014
La grise #1 (nouvelle).
Le quartier était calme. Quelques canettes jonchées ça et là sur le trottoir témoignaient néanmoins d'une intense activité nocturne. Mais rien n'avait changé depuis ma dernière visite. Ce jour là, pour l'état des lieux, on m'avait expliqué que j'aurai une voisine peu causante, mais charmante. Elle qui ne sortait que pour ramasser son courrier cultivait un oranger sur son balcon, d'où cette odeur douceâtre qui vous saisissait à peine arrivé au cinquième.
On la voyait à peine, mais elle ne dérangeait personne.
Pour ma part, musicien fauché, divorcé et père d'un môme de 15 ans, j'avais du abandonner ma maison rouennaise pour ce hlm de fortune que longeaient une pente ardue et la forêt de Saint-Michel, à Evreux.
Mes affaires ne s'arrangeaient guère et je n'avais même plus de chambre pour mon fils. Vendus, les meubles, le studio, les guitares et la maison avec. Dans six mois, on m'aurait coupé les allocs et là...
En attendant, je donnais les consignes aux déménageurs :ça, ici, ça, pas toucher, fragile, etc...
Nous étions début août et Jeremy arrivait dans quinze jours. Je n'aurais qu'à lui prêter mon plumard.
Un F2, ça faisait un peu court pour un gaillard plus habitué au jogging du bois de Vincennes qu'à cette splendide déchetterie qui faisait face à mon nouveau cosy. Lui n'aimait que le sport. Prof, ça lui disait bien mais son rêve à lui, c'était de courir le marathon. Il se faisait les dents sur les 5 000, les 10 000 et tout, mais le marathon...Waouh!
Champion de France minime, cinquième chez les cadets, on lui prédisait un brillant avenir mais lui n'était pas trop sport-études, alors il s’entraînait dans son coin, avec « ses » éducateurs de Vincennes. Littéraire, comme ses parents, il entrait en première en septembre et comptait bien enquiller son bac vite fait, bien fait.
Pas de nana, mais il avait fait la chose, et ça le branchait sans plus. On disait, enfin sa mère disait, qu'il tenait aussi de moi de ce point de vue! Eh quoi! On va pas s' forcer, quand même...
Sauf que j'avais pour ma part stoppé les footings à 10 ans et demi, 9 ans peut-être , et je fumais clopes sur clopes depuis son âge à lui, maintenant.
Il fallait lui faire de la place, dans ce loft de merde, c'était mon fils et je tenais à lui. En plus, on s'entendait plutôt bien. Faut dire aussi qu'il faisait jamais de conneries, et qu'il supportait sans rien dire nos vie, hum, aventureuses, à sa mère et à moi.
Elle, une danseuse du ventre d'origine américaine rencontrée à la fac, une belly dancer bien canon avait aussi roulé sa bosse avant de monter son cours avec deux copines de Monte-Carlo. D'abord à Aix, dans le sud, puis à Paname, Bellevile. Mariée à un photographe de banquets, elle avait perdu son deuxième enfant après une fausse couche et ça lui avait coupé les pattes pendant un moment:
impossible de danser, pendant six ans. Elle ne supportait même plus la musique. Mais à force de courage et d'obstination, elle remontait depuis sur les planches et faisait désormais le bonheur des cabarets parisiens, le week-end et les soirs de fiesta.
Elle avait rencontré son mari comme ça, que je ne connaissais pas vraiment mais qui était toujours sympa avec Jeremy.
Faire de la place, en finir avec ces emmerdes et ce déménagement à la c...!
Voir mon fils.
Madame M. arrosait son oranger, je la voyais depuis mon balcon. Blonde, la soixantaine bien sonnée, elle me rendit mon salut, poliment, mais sans en faire trop. Vêtue d'une vielle robe de chambre et de chaussons assortis, elle semblait comme absorbée par sa tâche et fumait une cigarette, sans avaler la fumée. Une fois partis les déménageurs, je n'aurais plus qu'à ranger mon foutoir et attendre mon fils. Du travail, aussi, mais ça, c'était une autre histoire.
Remettant tout ça à plus tard et après les éternels bières-sandwichs offerts par la maison, je décidais d'engager la conversation avec cette charmante petite vieille et allais donc sonner à sa porte. C'était l'occasion rêvée de faire les présentations et de s'excuser pour le bordel de la matinée.
Je sonnais, une fois, puis deux, puis trois mais personne ne répondait. Etait-elle couchée, à trois heures de l'après-midi, ou bien est-ce qu'elle papotait avec une amie de son âge venue lui rendre visite? Je n'insistais pas et décidais de revenir plus tard.
Car nous étions réellement on ne peut plus voisins. Elle au n°7 et moi au 8 de ce hlm de province.
Je baissais donc la sono quand j'entendis, du dehors, cette petite dame m'appeler par mon prénom avec hésitation.
« Neil, heu...Neil? C'est bien vous le nouveau locataire?
« Oui oui! Répondis-je, ravi de faire votre connaissance, Madame. On vous a un peu dérangée, n'est-ce pas?
« Du tout, pensez-vous! Vous êtes un artiste, vous!
« Ça se maintient mais, heu... ça sent bon vos fleurs, là!
« Merci jeune homme, je fais de très bonnes confitures avec ça, vous y goûterez sûrement! A bientôt, alors?
« Ok! Et, bon appétit... »
C'était ça de gagné, une gentille petite vieille. Mais comment ça tenait encore debout, son truc, dans une région comme la nôtre?
Mystère...
Assailli par un mal de tête récurent, je décidais de m'allonger un moment sur le canapé, en attendant les rangements. Mon imagination divaguait entre les cours de mon fils, mon ex femme et l'oranger de ma petite voisine.
Tout cela n'avait aucun sens. Cinq ans avant, j'étais encore un producteur respecté, se produisant dans les meilleures salles et dealant direct avec les majors. Là, fini, basta! Cette histoire de plagiat m'avait plombé la vie. J'étais de bonne foi, pourtant, et n'avais rien volé à personne: 10 briques, ça m'avait coûté, le tube de l'été. J' te dis pas le carnet d'adresses, non plus. Mais j'étais pas encore clochard, il fallait s'en remettre. J'allais donc donner quelques cours, comme ça, au débotté, puis de plus en plus sérieusement.
J'osais à peine écrire des chansons. Et puis, pour les présenter à qui, au juste?
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