01 novembre 2013
Dix mille étoiles.
Les écrans donnaient l'heure à qui voulait l'avoir, sur le mur, là, en face de l'église et le clochard s'endormait sur son banc en cuvant son vin rouge.
Il rêverait, cette nuit-là, comme toutes les autres nuits. Mais de rêves lourds et douloureux comme des chaînes de métal, des cloches fêlées ou des décharges de Taser.
Toujours, les mêmes souvenirs l'emportaient loin la journée et le ramenaient sur les berges en soirée: sa femme, ses gosses, les nuits passées sur la Côte, à Calvi ou Marseille. A jouer les artistes et à chanter du Higelin. Mais là, c'était Evreux et l'Iton. Et les amis qui passaient sans le voir. Ou en faisant semblant.
En 2020, il aurait 51 ans et aurait passé les deux tiers de sa vie à la rue. En foyers, parfois.
Internet? Il voyait ce que c'était, ces écrans verts plantés au beau milieu des parkings, qui lui rappelaient ce temps perdu, cette vie gâchée et sa jeunesse à la Rotonde, le bar du lycée, là-haut.
En vrac le bar, désormais, et le lycée, une prison.
Sans chien, ni Dieu, ni maître, il ne fréquentait pas trop tous ces mecs violents qu'il croisait à la Poste ou devant les croissants, mais leur taxait parfois une clope, ou même du feu. Car il avait connu ça, le racket, et s'était déjà fait battre par de plus pauvres que lui. Plus pauvres, et moins valeureux. Sans respect. Pour rien, ni personne.
Pour l'heure, il glissait des mains de Bacchus aux bras de Morphée, et ce n'était pas pour lui déplaire, une veille de 14 juillet, comme ça, avec les feux, la canicule et les flics tolérants.
Derrière l'église, voulait-il être une star, une vedette, ou même...même...dormir avec Coco?
Aden, Aden, viens Aden, nous paierons en songe éphémères tes journées laborieuses...
Tu seras remboursé, mais viens, viens, Aden...
Viens...
« J'aurais dû être peintre » se disait-il souvent, « Car n'ayant aucun talent pour les mots, j'aurais pu être un artiste. » Et être aimé pour ça, lui qui n'avait connu l'Amour que de loin, à 15 ans, à 20 ans, puis...plus rien.
Il aurait raconté ses rêves, ses passions, ses angoisses aussi, mais ne serait pas resté clochard pendant 25 ans. Sûr et certain, c'était ça, sa voie, être artiste. Musicien, homme de lettres, ça n'était pas pour lui. La musique et les mots étaient des activités bien trop complexes pour un petit cerveau comme le sien. Du moins le pensait-il. En tout cas, Bashung et les Noir Désir étaient déjà loin.
Le grand Chanteur, mort dix ans avant, cumulaient les hommages et Bertrand Cantat payait toujours pour ses fautes, après des siècles de repentance. « Comme moi, en somme! » se répétait-il encore.
Le bal battait son plein, à deux pas d'ici. Les feux allaient commencer. Aden but une dernière gorgée de gros rouge et se roula une Camel. Du tabac acheté, bien sûr, avec la manche de la journée.
Cinquante ans, cinquante ans, CIN-QUANTE-ANS il avait!
Et c'était la fin des haricots, pour lui et tous ses projets.
Accroché au portique, Aden se balançait la tête en bas en écoutant parler ses charmantes cousines.
Elles n'étaient pas vraiment belles, ni vraiment aimables, mais charmantes. Charmantes comme on pouvait l'être avec une éducation bourgeoise comme la leure.
La piscine de Gap brillait de mille feux, et c'était le feux d'artifice qui démarrait. Plantés sur la colline, déguisés en pantins, en clowns, en Pierrot, sa famille et lui jouaient aux cartes et buvaient du rosé, sauf la petite dernière qui tournait au cassis.
Il s'envola d'un coup, plongea du dix mètres olympique et ressortit, comme par, miracle, une pièce de monnaie à la main qu'il était aller chercher au fond, tout au fond du grand bassin.
Il voyait les nageurs, les athlètes musclés et sûrs de leurs charmes alors qu'à lui, il lui manquait un œil, un bras et quelques centimètres pour son âge. Ou bien était-il trop grand. Il avait 111 ans, nous étions en 1981.
Bowie résonnait dans les enceintes, il était l'heure de danser et, peut-être, même, serait-il à l'heure au concert. Grenoble/Paris, à vol d'oiseau, ça prenait cinq minutes.
Après deux heures de Scary Monsters, il s'accrochait en haut du Sacré-Coeur et décidait d'y passer la nuit. Mais, le vent aidant, il ne pouvait s'empêcher de voleter de cités en cités, de quartiers en quartiers, autour du monde, comme un oiseau fou.
Pendu aux réverbères, il allait et venait le long des Champs-Elysées à la recherche de l'Amour (Coco?) et entrait parfois dans un cinoche pour se protéger des Gardes Municipaux. Puis, reprenant son périple, il accomplissait quelques allers-retours Terre/Lune à la vitesse de la lumière.
Au matin, Aden était mort. Et internet n'allait pas en parler.
Zzzzz...
Fin.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire