11 juin 2014

Et moi?

Et moi, qui étais-je dans tout ça ? Inconscient de mon propre mal jusqu'à l'âge de 25 balais, je devais craquer quand mon père me renvoyait de chez lui, un matin de 1994. Cet été là, je rentrais d'un long séjour londonien et, après m'être méthodiquement séparé de tous mes effets personnels, je me retrouvais à la rue, et sans argent. Les troubles étaient apparus 3 ans avant, à la fin de mes études de com'. Objecteur de conscience, je commençais par me raser le crâne et ne supportais plus la cigarette. Depuis un an, j'étais en outre plus ou moins végétarien, comme mon ami Mathieu. La vie m'échappait, je voulais la reprendre. Du moins, j'analyse ça comme ça, 20 ans après. Inscrit en Lettres par correspondance, je n'ouvrais jamais un poly mais commençais à distribuer mes bouquins et mes disques. A qui en voulait, ou même à la bibliothèque. On cherche quoi, dans ces cas là ? Tout avait commencé par une erreur d'aiguillage, une mauvais fac. J'aurais du étudier l'Histoire de l'Art mais, faute de place, je m'étais retrouvé en Linguistique et ce genre de trucs. Ca m'apprendrait à me lever à l'heure. J'avais passé quatre ans dans cette zone, pour un Deug de merde, mais mes rêves de journalisme s'étaient envolés. Échec, Échec, Échec. Puis, aprés mon père, ce fut le clash avec ma mère, que j'arrangeais méchamment lors d'une crise de nerfs, de retour de Bretagne, des vacances payées grâce au pognon que m'avait imposé mon pater, comme pour se dédouaner de m'avoir renvoyé. Là encore, viré. Par le beaup, cette fois, et lui m'avait vraiment dans le pif, ce voyou de bas étage. Après l’errance, après les coups, reçus et donnés, on entend des voix, on a des hallus, on fait des cauchemars et les drogues et l'alcool, consommés depuis bien trop longtemps, n'arrangent évidemment rien. Ni vivre à 200 à l'heure depuis son adolescence. Un jour, les portes se ferment, et on est jugé. Mais par qui ? En six mois, j'étais devenu complétement maniaque, peut-être à force de rincer mes maigres affaires à la laverie du coin. C'est le squat chez un copain, puis un autre, et encore un autre, si on peut appeler ça des copains, et à la fin, ils vous virent. Un foyer de jeunes travailleurs, en banlieue parisienne, et la rue, un beau matin, pour finir sur un banc. Avec son sac. Lille , Evreux, Belleville, toujours la même réponse : tire-toi ! Même ton ex ne te connait plus : elle a trouvé mieux. Tu les verras tous, dans le métro, tes amis embarqués dans la vie, bien habillés, bien nourris et toi, bah tu dors à Nanterre. Et merci pour les sermons : c'est pas beau de fumer, il faut pas voler. Sauf que toi, t'es dans tous tes états. Tu pourrais même tuer quelqu'un mais tout le monde s'en fout: amis, famille, flics, toubibs, personne t’arrête, pas même ta mère. Après tout, ils devaient pas t'aimer, et ils savent pas rendre service. Mais la rue, ça leur dit quelque chose ? Ca doit être ça, finalement: on est pas concerné, rien à foutre, barre-toi ! Un jour comme ça (mais quand?), la maladie prend le dessus: tu te rends plus compte de rien. Tu parles à des anges, tu crois à tes rêves, t'es devenu un zombie. Et il faudra dix ans pour te récuperer, car tu vis dans le déni, ou t'en a plus rien à foutre, au choix. Mais quand ça craque de nouveau, c'est toujours pas gagné, car on t'écoute toujours pas. En clair, tu vas creuser ta tombe et cette histoire, sans cesse ruminée, sera ton fond de commerce. Comme une habitude à prendre, une cigarette qu'on allume. Retrouvé, à 27 ans, plus mort que vif dans ce foyer sordide, hospitalisé et renvoyé chez ma mère, en pleine cambrousse, je passerai neuf ans sans me rendre compte qu'elle me collait des médocs dans mon verre, ma bouffe, mais j'attendrai, toute les trois semaines, mon injection du matin. Ou bien, je ne voulais pas savoir, même si je l'avais surprise, une fois. Ou bien...quoi, au juste? De ces année perdues, me restent quelques cours de ciné, quinze jours de droit et les vacances à l'ANPE. Les revues et les disques, aussi. Mais on pense même plus à partir, à se défendre, on parle plus à personne, et d'ailleurs, les gens vous emmerdent, avec leurs problèmes. Une fois déménagés de cette maison de campagne, ma mère poussera le vice jusqu'à nous installer tous les deux sur le même pallier. Elle au 7, moi au 8, dans un hlm amélioré. Curatrice, cuisinière et déléguée aux médocs, elle avait sur moi tous les droits. Les clefs de mon F1, aussi. Ca ne pouvait plus durer, et rebellote: une danse, les flics et l'hp. Et elle, toujours, qui s'accroche à mes basques et qui joue avec mon pognon. Jusqu'au jour où cette petite psychiatre, sans histoires, sans faire de bruit, se décidait à me laisser parler. Une petite roumaine qui devait comprendre que j'étais responsable, finalement, de mon traitement commme de la conduite de mon existence. D'autres prendraient le relai, par la suite, notamment au sein d'un hôpital de jour, là où on voit du monde, où on sort de son isolement et où les langues se délient. Et la parole fait tout, dans la vie. Il faut, bien sûr, penser à bosser, un jour où l'autre, et l'Agefiph ne peut pas tout régler. On se refait des amis, tout neufs et avec les mêmes problèmes que vous. On sort, on parle, on fume et on vit comme tout le monde, malgré les aller-retours entre chez vous et l'hp. Car tout n'est pas acquis, on vous met parfois la pression et vous n'êtes pas à l'abris d'une rechute. Le temps est long, mais on est entouré, et on prie pour des jours meilleurs. Et puis les parents meurent, un jour, comme ma mère en juillet 2010, 15 ans après mon père, et on est soulagé. La paperasse pénible et les familles à la con ne peuvent rien contre ça: on sait qu'on va respirer, que c'est une question de temps. Qu'il faut s'organiser. Se soigner, et se tourner vers l'avenir, alors qu'on a trop marché sur les mains, et la tête à l'envers. La vie reprend ses droits, la nature également. On pourrait même tomber amoureux, qui sait, même passé quarante ans. Ca doit être ça, en fait: une question d'organisation.... Un jour, il faudra partir.... Evreux, le 4 mai 2013..

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