19 octobre 2013
Si j'y pense.
Prologue : État des lieux.
J'en reviens, comme toujours, à Eric Zemmour. Sauf que personne ne l'a jamais lu, ce que j'avais à en dire. Cinq minutes le soir, en douce, et je suis tout de suite dégouté. Là, c'était les binationaux avec Dhorasoo, qui semblait, le pauvre, bien mal à l'aise devant les vannes du chroniqueur.
Peut-être, peut-être que mes parents regardaient trop la télé, que les conneries du week-end leur tapaient sur le système. C 'est facile, les gars, de mettre le feu au pays, comme un vulgaire casseur, et de s'étonner ensuite que les choses tournent mal. Dès que ces types ouvrent la bouche, c'est une bombe dans un tramway, une claque à sa copine ou une bagnole qui crame. Ça fait le même effet.
Mon père était assez cinéphile, dans le temps, il adorait les westerns. Ma mère pleurait quand on a enterré Claude François. Et puis ça s'arrêtait là, on passait à autre chose. Mais lentement, mais sûrement, la téloche à pris toute la place. Du matin au soir, les écrans allumés, après leur divorce.
Ils sont mort, aujourd'hui, et j'espère que, s'il existe, on leur à promis autre chose qu'un paradis en quinze langues. Sur abonnement. Que si on se retrouve, après le grand voyage, on pourra enfin parler. Parce qu'à la fin, ça devenait franchement impossible.
Je n'ai encore jamais rien publié, pas une ligne, sauf sur internet, à l'heure où j'écris. Je ne voulais même pas devenir écrivain. Pas d'autre choix, pour travailler et occuper ses soirées, que de dégainer ces chapitres. Plus le temps de penser.
Je suis schizophrène, d'après mon médecin, et donc traité en conséquence depuis de nombreuses années. Les plus belles, ou celles qui auraient dû l'être. Ma mère était ma seule famille et depuis sa mort, il y a dix mois, je sais que je suis seul au monde. Cependant, cette femme m'a gâché la vie:
trop proche, trop dure, trop bavarde. Et manipulatrice. Je vis donc, désormais, dans le F1 à 300 euros qu'elle m'avait imposé et sans savoir si, un jour, j'aurai les moyens d'en changer. Couverte de dettes, j'ai dû renoncer à son héritage.
Pourquoi, au juste, est-ce que je vous raconte tout ça?
Traité convenablement, mais sans plus, par mon psy et ma curatrice, je fréquente régulièrement un centre de jour, médicalisé, qui m'évite de rester seul trop longtemps. De mon plein grès, mais les traitements, eux, me sont imposés: injections mensuelles et pilules deux fois par jour. Je vis grâce à
l'allocation pour personnes handicapées et je ponctionne aussi régulièrement un héritage reçu de ma grand-mère paternelle. Je touche les apl, j'ai une carte bleue et ma curatrice gère mes intérêts « en bon père de famille » (quelle satanée expression!). Avant, il y a eu la rue, le métro, les gardes à vue, le squat et, pour finir, le foyer de Nanterre. Le Chapsa. C'est là que ma mère, encore elle, m'avait retrouvé au printemps 1996, deux ans après mon retour d'Angleterre.
J'avais 25 ans, à l'époque, et la vie devant moi quand j'ai subitement plongé dans la paranoïa. Je suis devenu violent, prodigue et sans domicile fixe. Comme ça, comme on tape dans ses mains, comme on claque des doigts, aussi facile que ça.
A 42 ans, l'existence me paraît surtout dégueulasse, a part quelques amis (tous malades), mes bouquins et mes disques.
Ado, je voulais devenir musicien, ou même journaliste.
Tout ça est si loin.
Une chose est certaine : Zemmour a bien tort de creuser nos tombes chez son copain Ruquier.
Quand il l'aura sous les yeux, sa France ultra, blanche et anti-nana, il regrettera surement le bon vieux temps.
Comme moi?
Evreux, le 22 mai 2011.
Mais si!
« Tu dis toujours non, toi! » Combien de fois m'a-t-elle fait ce reproche, ma mère? Et en effet, j'étais rarement d'accord avec ce qu'on me demandait, étant enfant. Plus tard, ça ne s'arrangerait pas vraiment.
Né à Grenoble d'une mère normande et d'un père originaire des Hautes-Alpes, je devais déménager sur Rouen vers les 2 ou 3 ans où mes parents allaient monter une affaire, un hôtel en fait, puis faire faillite quelques années après. Débarqué à Evreux au milieu des années 70, j'y ferai toute ma scolarité, jusqu'au bac littéraire.
Mes parents s'engueulaient souvent, se battaient même, et il m'arrivait d'assister à des scènes de violence pas croyables. Pourtant, j'étais heureux! Avec mon piano, mes BD, mes disques, je ne manquais de rien. Fils unique? C'était parfait pour moi, je m'en foutais complétement.
J'avais pris des cours de solfège dès l'age de 8 ans et demi et commencé le piano dans la foulée. Le chant aussi, à la chorale du coin. J'aurai préféré la guitare, mais ma mère s'y opposa catégoriquement: c'était, pensait-elle, un instrument de hippies!!! Des années après, c'est elle qui allait me payer mes premiers cours de Rock'n'Roll. Le sport? Trop mou, pas motivé, pas ambitieux et pourtant, c'était pas faute d'essayer! Le foot, le judo, le tennis, la piscine, le vélo, le hand, pour finir...mais pas la peine, j'aimais pas. Donc, il restait les sorties, les lectures et, assez tôt, vers les 10 ou 12 ans, les boites de nuits. Pas tout seul, évidemment, mais après son divorce, ma mère alla s'installer à coté d'un night-club, à la campagne. Comme on connaissait le patron, on y était tous les week-ends , quand je n'étais pas chez mon père. Mes deux cousines m'initièrent au disco et au ska et c'est encore avec elles que j'irai voir Bowie à Auteuil...mon premier concert marquant. L'une des deux s'était mise à la chanson, à la danse aussi, et elle était la star de la famille. Mais jamais elle n'arriva à percer.
J'aimais la nature par dessus tout et voulais devenir vétérinaire, je ne supportais pas qu'on maltraite les bêtes. C'était ça, mon côté montagnard.
Aujourd'hui, j'ai ma carte à la SPA.
Une enfance tranquille, quoi, sauf que je commençais à fumer, et pas que des cigarettes. A part ce mec qui vivait avec ma mère et que je méprisais royalement, tout allait bien. Quand je voulais, j'étais même plutôt bon élève. Seul mon père me manquait, mais je le voyais régulièrement, donc ça allait.
C'est à l'adolescence que je décidais de devenir journaliste. Ma vie changea du jour au lendemain alors que je recevais la brochure du CFJ (une école réputée) sur les conseils de je ne sais plus qui. Il y avait tous ces noms prestigieux, les cours semblaient passionnants et mes parents m'avaient toujours encouragé à faire des études. On savait que j'aurais droit aux bourses, c'était déjà un problème de réglé. J'avais un BUT dans la vie, en plus de la musique, et je devais avoir 14, 15 ans. A peine.
Ça change tout. Tu prends de l'assurance, t'es libéré d'un poids (qu'est-ce que je vais faire ?), tu t'investis. Ma copine de l'époque, mon grand amour même, voulais devenir Commissaire Priseur. Je voyais à peine ce que ça voulait dire mais bon, ça aussi, c'était réglé. Ça existait, ça au moins, comme boulot? Pas grave, on pouvait prendre du temps pour se bécoter sur les berges et trainer dans les cafés. Bah ouais, dans les cafés à 15 ans.
On s'engueulait souvent, mais on était très amoureux, tous les deux.
Euh...j' vous emmerde, là?
Tout ça pour dire que la jeunesse était assez cool, dans cette bonne ville d' Evreux bien assez grande pour ce qu'on avait à y faire. Dévaliser les disquaires, par exemple, ou bien danser le break devant la mairie. TOUS ensemble. C'est après que ça a mal tourné pour toute la compagnie. Les études? Paris? Le shit, par exemple?
Le bac en poche, je me voyais roi du monde assez rapidement.
J'étais pas arrivé.
Stagiaire, soldat puis...plus rien.
« Pas de cv, donc. Et vous êtes spécialisé: c'est bien »
Nous sommes en 1989 et je postule pour un stage à la Fête de la Musique, dans une asso proche du Ministère de la Culture. Je n'en sais encore rien, mais je vais décroché le boulot. J'en ferai même plusieurs, des stages là-bas, jusqu'à ce qu'on me propose un poste au Jazz, comme objecteur de conscience.
Desséché depuis deux ans en cours de communication, je ne pense pas encore à arrêter mes études. Je ne pense plus aux écoles mais bon...je ne pense même plus à grand-chose sauf à Mélanie et aux répètes du week-end. Car je chante, désormais, et je joue de la guitare après un passage aux synthés chez les futures Black Dèsir. Nous partageons le même local, tout le monde se hait: ça va.
J'ai pris des cours, récemment, et je connais donc mon do majeur et ma pentatonique. Pour le ré mineur, je demanderai à Frandol, le chanteur des Roads. C'est un copain de Mélanie, comme Zep, Xave et Cricouille. Hum... Il faut dire qu'on est assez « union libre » depuis le début, au collège. Mais, comme on dit, on revient toujours à ses premières amours. En plus, le 21 juin, c'est son anniversaire...la frime!
Mais je vis encore chez ma mère, à 20 ans. Je me tape un peu l'incruste, à droite, à gauche, et finis par déménager en septembre. Comme ça, chacun chez soi. Evreux, toujours, et le train pour Paris toute la semaine.
A cette époque, je vends du shit, depuis le lycée. A mes potes. Ça me paie ma conso. Un jour, les mêmes me laisseront mourir dans le métro. Je prends des médocs, aussi, de la codéine, et je vais tester les drogues dures. Sans shoot. C'est ma limite. Quand on me propose, je réponds que je me débrouille tout seul. J'évite aussi les trips, à cause de ce mec qui est resté collé, mais les champis, si, une fois. Et j'ai eu la trouille de ma vie. J'ai cru que j'allais jamais redescendre. Deux jours et une nuit entière, à parler aux murs. Plus tard, aussi, les amphés et...le même résultat. Le type qui m'a fait goûter ça est aujourd'hui clochard, ou presque. Vingt ans après.
Ça fait ça à tout le monde? Tout le monde te le dit, mais t'as du mal à croire que ça va te rendre maniaque. J'ai plutôt l'impression d'un truc mystique, une crise existentielle qui m'est tombé dessus. Pas les drogues. Mais bon...
Comme je finis par décrocher mon deug (au bout de quatre ans, quand même), il est peut-être temps de gagner sa vie et pour ça, le service civil, c'est épatant. En plus, on m'embauche à Evreux, dans la salle rock du coin, pour y servir, disons, d' "attaché de presse" et tout et tout. Je dis merde à Paris, déménage pour la troisième fois en deux ans et finis ma course dans les quartiers craignos, La Madeleine, en guise de confort moderne. Nous sommes en 1991 et je crois bien que mes parents m'entretiennent encore un peu.
Seul chez moi, avec un boulot de merde du matin au soir (pas de chance), bloqué dans une zone, je vais commencer ce qui s'appelle une descente aux enfers.
Première étape: arrêter de fumer. Comme ça.
Greg dans tous ses états.
C'est bien connu: la cigarette, c'est mal. Décidant de me reprendre en main et de faire de l'exercice, de m'entretenir, je balançais mon tabac et, un jour comme ça, me lançais dans une séance de jogging matinal, stoppée net par le manque de souffle.
Après la douche (et être rentré, quand même, en petites foulées), je n'avais donc plus rien à faire. Etudier? La licence de lettres, entamée par correspondance, me motivait pas des masses. Bosser? J'étais payé à rien foutre. Lire, jouer, chanter? Aïe! Il me fallait...ma clope.
Le petit jeu de fouiller les poubelles, à la recherche d'un paquet, et de le balancer aussitôt allait durer un certain temps. Mais à chaque fois, la récompense: La clope. J'ai même commencé à me raser le crane, à faire le ménage chez moi (entendez: à brader mes effets personnels), à passer des nuits blanches sans plus savoir, à la fin, ce que j'étais sensé chercher. Mais à la fin, il fallait s'en griller une. Et retourner au combat. Je ne pense même plus à travailler, je laisse tout tomber et puis, mon travail n'était pas reconnu, à la mjc. Nos rapports deviennent tendus, on me met au placard et puis, on me vire après le festival. Je n'ai plus qu'à chercher ailleurs, car objecteur, ça dure vingt mois. Et je n'ai fait que la moitié.
Pendant ce temps là, mes amis font la fête et moi, je m'isole. Ils m'emmerdent avec leurs fanzines, leurs groupes pitoyables et leur manie de rouler sous la table. Parce que l'alcool, c'est pas mon truc. Et j'en ai marre des toxines.
Je continue la braderie, tout y passe: les bouquins, les disques et les guitares. Les meubles, la chaine hi-fi peut-être, les cassettes audio. Comme je dois déménager en urgence, je laisse ce qu'il reste à mes parents: quelques revues, des bouquins, des fringues...
Car j'ai trouvé mieux ailleurs, à Bordeaux, pour bosser avec des aveugles. Je serai logé sur place. Cool. Mais en attendant, et après avoir embrassé mes parents, je dois faire fissa, et ils s'occuperont du déménagement.
La clope? J'ai arrêté d'arrêter, depuis longtemps. Ma tignasse repousse et je pars avec le minimum. Comme ma mère s'est remariée entre temps, je me dis que tout va bien, qu'elle va pas paniquer. Le mec, son mari, est assez sympa. Collant, mais sympa. Et musicien, en plus!!! Que demande le peuple...
A deux doigts de manquer le train, je l'attrape in extremis et calé dans mon fauteuil, au petit matin, j'ai la sensation que cette fois, peut-être, je pourrai refaire ma vie. J'ai un an pour trouver car après, il faudra travailler. Plus de parents.
Penser à rappeler Mélanie, qui n'a pas l'air d'apprécier mon départ. Moi? Je ne sais pas...je n'en sais rien. Nous sommes tellement différents l'un de l'autre, aujourd'hui. Pour elle le Rock' n' Roll...
Et pour moi...?
Rue du Tondu.
Arrivé à Bordeaux, mon premier réflexe est de me jeter sur des lasagnes bien fraîches, accompagnées d'un verre de vin rouge. Il faut dire que j'ai été végétarien durant quelques mois mais là...je craque. Il fait beau, nous sommes au mois d'octobre et les filles sont jolies. Je serai même végétalien, des années plus tard, après ma séance « poubelles », mais pas plus longtemps.
C'est un pote à moi, Mathieu, qui m'avait mis la puce à l'oreille alors moi, j'ai fait pareil, comme un con. C'est l'enfer, ce truc. On voit vraiment plus le jour, mais je trouve toujours ça défendable, comme pratique. A condition de s'organiser, et de savoir cuisiner, ce qui n'est pas mon cas.
A Evreux, j'ai juste eu le temps d'embrasser mes parents, et basta! Ma mère a pleuré, mais je ne pars pas loin, et je reviendrai. Après tout, ce n'est que la Gironde, pas le bout du Monde.
Je me retrouve devant la porte de l'asso, je sonne et Christophe, un autre objecteur, m'ouvre en faisant des courbettes. Il va donc me briefer toute l'après-midi et puis...quartier libre.
En gros, je vais passer un an de ma vie a relier des cassettes, tenir une permanence et transcrire des textes en braille sur un ordi! Pas plus. Avec Nicole, non-voyante, tout se sera bien passé. Charmante mère de famille ainsi que la responsable des lieux, charmante grand-mère. Je vais même me faire quelques amis, tomber amoureux (quinze jours) et me faire draguer par un mec. A la fin du séjour, il est temps de trouver un job et je ne sais pas où aller
Un ou deux cv au hasard (tous rejetés) et je décide de répondre à une annonce de Libé qui parle de Londres et de restauration. En moins de deux, je suis sur le coup! Et il faut y aller, à Londres, mais j'aime les voyages et parle un peu la langue.
Le temps de réunir mes parents, sur un coup de tête, dans une brasserie Normande et de récupérer quelques affaires, je serai parti début Août. Mais entre temps, je continue ma grande opération de nettoyage: fringues, revues, bouquins et même une guitare: poubelle!poubelle!poubelle!
Je le ferais si je pouvais me balader à poils dans la rue et d'ailleurs, je n'en serai pas loin quelques années plus tard.
Le train réservé, une chambre m'attend à Kensington et là, il faudra bosser. Mais je ne me doute pas encore que mes parents ne vont pas apprécier ma petite escapade et que le retour, encore un an après, sera...plus que chaud.
Je n'imagine pas encore que mon père va me mettre à la porte de chez lui ni tout ce qui va suivre, loin de là. En fait, c'est l'insouciance totale, il ne peut rien m'arriver.
England, here we come !
Big Dreams.
A quoi tu rêves, Grégory Ardoin, tous les jours après ton service? Perdu dans Hyde Park, sans personne pour te déranger, la vie se passe tranquille entre les services du matin, les services du soir et même les services tout court.
Un jour, dans mon hôtel, ils m'ont envoyé faire les Taxis. C'est à dire, distribuer des petits papillons à la sortie du dépôt. J'ai refusé, tout net, parce que c'était pas mon boulot. Et bien, ils m'ont laissé rentrer seul, sans une thune.
Un jour, c'est la piaule du dirlo, ou de l'assistant, qu'il faut récurer. Ou alors, ton repos tombe tous les quinze jours, ça dépend des plannings.
Ah oui! J'avais oublié...j'ai enfin trouvé un job de « general assistant » dans un hôtel du West End. En gros, on prépare les breakfast, on les sert et on fait les chambres. Le soir, des fois, il arrive qu'on cuisine. Euh..du surgelé!
Ce petit travail me laisse le temps de penser à mon avenir, mais mes parents s'inquiètent et je ne me doute de rien.Je suis resté six semaines sans donner de nouvelles, après avoir changé d'adresse et, depuis, j'appelle mon père tous les week-ends. En pcv, bien évidemment.
J'ai quasiment oublié ma mère, après lui avoir demandé de m'envoyer du fric sur place, par virement. Et puis j'ai fait paniquer tout le monde, car on disait que ma première adresse était un truc de fachos. Dans le doute, j'avais quitté ce bordel, mais raconté l'histoire à mon père, qui a dû mourir comme ça. C'était un peu gros, quand même, mais dans le doute, je ne voulais pas prendre de risques.
Mon père? Il me rendra une courte visite, au printemps je crois, mais on parlera de rien. Il a des avions à prendre, comme toujours.
Si! Je suis devenu cinéphile, depuis Bordeaux. Déjà, là-bas, je claquais tout mon fric dans les cinoches. Peu importait le style, j'allais tout voir. En fait, ça date de la mort de Serge Daney, que je lisais un peu dans Libé. Puis, je suis tombé sur un n°spécial des Cahiers du Cinéma, et j'ai dû consulter quelques articles à lui, je ne sais plus où. Ça, c'était à Evreux. Mais à Bordeaux, dans les années 92/93, on avait aussi bien Coppola (Dracula) que Klapish (Riens du Tout) et tant d'autres.
A Londres, où la vie est chère (et les cinés, notamment), je fréquentais les salles indépendantes à quatre ou cinq livres la séance. Carax, Fellini, David Lynch, tout y est passé.
Je vivais au présent, sans m'occuper de rien, mais des rêves plein la tête: j'allais rentrer à Paris, un jour. Je trouverai un petit boulot, mes parents m'aideraient à repartir « du bon pied ».
Mes rapports avec les gens se limitaient au minimum. Je n'étais pas causant mais bon, on me foutait la paix avec ça. Le ciné, toujours le ciné...Il faudrait bien rentrer, un jour. Et ce retour, que j'espérais en douceur, allait tourner au vinaigre...Pourtant, à cette époque, j'avais arrêté de me prendre le choux. L'horizon semblait dégagé, même ruiné comme j'étais. J'avais 25 ans, l'âge de sauter dans la vie. Et bien je finirai, deux ans plus tard, en hôpital psychiatrique. J'avais même arrêté mon ménage, je mangeais et vivais normalement.
Je buvais des bières, comme tout le monde, et fumais quelques clopes. Comme tout le monde.
Back to collegian years.
A quoi rêvais-tu, Grégory Ardoin, dans ce métro de la ligne 13 qui t'emmenait à ton école de Cinéma, celle que tu te paierais avec l'héritage reçu à la mort de ton père?
Automne 96: après six mois de squat, à droite, à gauche, et une grosse année passée à la rue, je décide de reprendre mes études.
J'ai fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, pas toujours consentants, mais autant j'ai vite compris, en 1994, que quelque chose n'allait pas chez moi, autant deux ans après j'ai tendance à « oublier » ma maladie. Je regarde ailleurs: l'avenir, les études, le mariage, les gosses, la retraite et donc...je veux étudier.
Je m'étais pourtant plaint de troubles mentaux à mon entourage à l'époque de mon retour d'Angleterre, peu de temps après avoir frappé ma mère. Mais personne ne m'avait écouté. On devait croire que je faisais du cinoche. En gros, ça c'était passé comme ça: retour chez mon père (en Normandie), qui lui-même me vire après un mois et donc retour chez ma mère, dont la maison vient de brûler et qui est assez sur les nerfs.
J'avais démissionné en urgence de mon hôtel , et mon père avait dû de nouveau m'entretenir, toujours par mandat, le temps pour moi de rentrer en France.
Mais là, après m'avoir saqué de chez lui, il croit acheter mon silence avec un gros chèque, que je claque en Bretagne (à Rennes) et au retour, c'est ma mère qui va s'en prendre plein la tête.Son mari me trouvera dans la salle de bain, prêt à m'ouvrir les veines mais ira quand même me virer comme une daube. Dehors! De là, squat chez les copains, et vu quelques toubibs à cause de troubles de plus en plus perceptibles.
En gros, je me demande si je deviens fou ou si l'on m'a...ensorcelé! Je pense même au beau-père, avec ses manies de tout ramener au Bon Dieu, à la nature et au spirituel. Je me crois possédé, j'entends des voix, j'ai des hallucinations. Bref, ça va pas du tout. Les médecins que je vois ne semblent pas s'alarmer, même à Navarre, l'hôpital psychiatrique d' Evreux, où l'on me déconseille l' hospitalisation. Je raconte à tout le monde que je suis tombé dans une secte, comme ma mère, et je préviens même les flics, les journalistes et une asso du type Mivilude. Mais personne ne voit rien. Pas même à Perray-Vaucluse, dans l'Essonne, où je me retrouve après un passage à Ste Anne. J'en sortirai contre avis médical, en signant une décharge.
Parents, famille, amis...tout le monde s'en fout et donc, après le squat chez Gilles, Nicolas et Jean-Jacques, après un passage dans un foyer de jeunes travailleurs à Achères, je me retrouve...sdf, en février ou mars 1995.
Ruiné, un sac et deux jeans dedans, une dernière cigarette et la galère commence. Ma mère a bien essayé de me contacter, mais son mari joue les durs et ça ne me plait pas du tout. En plus, je les crois à l'origine de mes troubles.
Comme boulot, pendant ce temps là, j'ai essayé serveur au Carrousel du Louvre et distributeur de prospectus, chez un ami de mon père.
Évidemment, ce n'était pas le moment de faire ça.
Je suis désormais complétement dans le gaz, je parle aux esprits. Quand je demande de l'aide, personne ne répond. Je vole dans les magasins et mange gratuit dans les brasseries. Donc: gardes à vue, nuits blanches ou bien c'est les églises et les couloirs du métro. Les bancs, taxer des clopes dans la rue. Faire les poubelles, aussi, pour bouffer, on va pas se gêner.
Un clochard, quoi! Et tout ça, complétement parano.
J'ai vraiment fait la manche une fois, une fois pour toutes, mais ce n'est pas rentable, donc, je préfère taxer. Pas du fric, plutôt des clopes ou bien un café au bar. Sinon, un verre d'eau.
Tout ça ne pouvait pas durer, trainer avec mon sac dans Paris et dormir sur les Champs, un jour je vais me faire attraper par la « brigade » du Chapsa, le foyer de Nanterre. Je m'enfuirai une fois ou deux puis, ne sachant où aller, j'y retournerai, seul, jusqu'à ce que cela devienne ma résidence permanente. Pour la nuit, mais pas trop les douches dégueulasses, ni les repas: trop affreux!
Nights in black satin.
A quoi rêvais-tu, Greg, quand tu arpentais les couloirs du foyer à la recherche d'un lit ou, plutôt, d'une cage où dormir? Et dans cette puanteur...
Douches infectes, nourriture qu'on oserait pas donner à des animaux, il fallait signer là, « présent », et montrer tes papiers, ou bien ce qu'il en restait.
Te croyais-tu tout droit plongé dans une merveille de Leos carax, te prenant toi-même pour Denis Lavant? Peut-être, mais tu en rencontrerais, des fouineurs, journalistes ou autres, tous là pour te demander ton avis. Et tu ne dirais plus: « à l'aide! », tu ne dirais plus rien, pas même à tes amis régulièrement croisé dans le métro, les gares ou ailleurs, en plein centre ville.
Mathieu, Elise, Mélanie? Tous disparus...rien à foutre de toi et puis, pas les moyens, pas envie de s'emmerder, pas conscients, non plus, que tu pourrais tuer quelqu'un et qu'il te faudrait un médecin!
Tu pourrais même sauter, là, sous une rame, n'importe laquelle. Tout le monde s'en fout, tu t'es foutu tout seul dans la mouise, fallait pas déconner avec tes parents. Ni donner tes fringues. Tu pourras grimper jusqu'à Lille, retrouver Elise, appeler ton père, croiser une ancienne collègue, etc...ce sera toujours pareil: on peut rien faire pour toi, désolé, t'assumes maintenant! Un jour, t'es même monté chez ton ex, mais c'est son mec qui t'a envoyé sur les roses et elle, croisée à Châtelet, trouvait tout ça normal:« question de principes », disait-on dans son entourage. Bah tiens...
A la rue, au propre comme au figuré, tu penses même plus à te soigner, t'es complétement dans le gaz: les voix, les hallus, les idées noires et le soir, tu comates à Nanterre. Tu pèses cinquante kilos, pas loin de mourir, c'est simple.Et on continue la rapine et les gardes à vue jusqu'à la première, puis la seconde convocation au tribunal. T'iras pas, évidemment, mais ils pouvaient te sauver la vie.
Ça fait un an que ça dure et t'en sais même rien, mais ton père est mort et tu vas hériter. Ta mère, après t'avoir retrouvé, te ferra hospitaliser, hp, parce que toi tu veux plus rien savoir, ni rentrer ni rien! Ton fric? Ta santé? Ça te passe au-dessus de la tête. T'es cuit, point barre. Et quand les infirmiers t'emmèneront à Ste-Anne, pour la deuxième fois, on t'aura sauvé la vie.
Mais, le temps de réagir, t'auras pas fini d'en baver,
Les années mortes.
J'aurai fait, dans ma vie, une demie-douzaine de séjours à l' hp, entre Evreux, l'Essonne et Sainte-Anne à Paris.
La première fois, à l'été 94, ce ne fût qu'un bref échange à Navarre avec une toubib qui m'expliquera qu'il n'y avait de place pour moi, ou plutôt que c'est pas drôle, l' hp, et qu'il n'y a pas urgence. Je suis pourtant dans un sale état, à l'époque. Je dors à l'hôtel, je délire, ça ne va pas du tout. Mais non, elle me conseille juste d'appeler mon père, le même qui m'a jeté deux mois plus tôt.
Je sortirai dévasté de cet entretien, ne sachant plus à qui m'adresser.
Ensuite, sur les conseils de la police, je finirai à Ste Anne, Paris, qui m'enverra illico dans l'Essone. C'est là que je prendrai mes premiers traitements. Rassuré? Oui, mais pas pour longtemps. Tout est étrange là dedans, les patients, les infirmiers, les locaux, tout. Le médecin me baratinera avec l'armée et les objecteurs et ne semblera pas écouter ce que j'ai à lui dire. J'en sortirai donc contre avis médical, avec l'adresse d'un dispensaire, après deux jours.
Deux ans après, c'est retour à la case départ: de nouveau Ste Anne, puis l'Essone et enfin Navarre, sur demande de ma mère. Ce sera cette fois beaucoup plus dur que les précédentes, car le personnel me met un pression pas possible. Sur les horaires, l'hygiène etc...moi qui vivais chez les clodos!
A cette époque, je suis complètement maniaque: je fais et refais les mêmes gestes trente ou quarante fois par jour. Comme me laver les mains, par exemple, ou bien ranger et déranger mes affaires. Je me demande franchement ce que je fous là, je n'ai plus vraiment conscience de ma maladie. Tout ça ne plait à personne. Ou plutôt, la pudeur m'empêche d'en parler à ce moment là et quand j'ouvre les portes au médecin, il les referme aussitôt!
D'un coup, d'une simple phrase, et ça bloque.
En fait, j'ai tellement pris l'habitude de me taire que cela n'a plus vraiment d'importance et quand j'insiste sur le rapport de confiance que j'entends instaurer, on m'envoie sur les roses. Alors finalement, traitement ou pas, suivi ou non, on s'en fout, on se tait...l'important c'est de sortir de là.
Pendant des années, ma mère me filera un traitement en douce, dans la bouffe ou les jus d'orange, et je ne me douterai de rien. Ou alors si, on sait, comme je l'avais surprise une fois, mais on réalise pas que ça va durer si longtemps. Un jour, je vais découvrir l'arnaque pour de bon et donc criser complètement. S'en suivront d'autres séjours à l'hosto jusqu'au jour où cette petite roumaine, psy à Evreux, écoutera ce que j'ai à lui dire .
Puis, d'autres, après, avec qui je prendrai le temps de m'expliquer.
On finira par me dire de quoi je souffre réellement et j'assume parfaitement aujourd'hui ce qui me différencie du commun des mortels. Suivi en externe au sein d'une structure adaptée, j'organise mon temps comme je veux. En plus, la mort de ma mère a résolu bien des problèmes: je n'ai plus à la supporter du matin du matin au soir et je suis désormais "maître chez moi".
Quand je ne suis pas au centre, je cherche du travail, je lis, j'écris et je joue de la musique. Mais il faut parfois souffler. Prendre son temps. Je recommence même à me faire des amis, mais presque dix ans ont passé et la route est longue, désormais, avant de retrouver ce qu'on appelle, je crois, la normalité. Mais ça va, maintenant.
Cambrousse.
Neuf ans, neuf ans passés en pleine campagne, à dix bornes du centre ville.
En 96, à la sortie de l'hôpital, il fallait bien aller quelque part, on me renvoya donc chez ma mère. Décidant, dans la foulée, de reprendre mes études, j'imaginais ce séjour comme simplement provisoire...mais non! Mon école, je la quitterai au bout de six mois et irai même trainer quinze jours en fac de droit, plus du tout motivé. Je protestais mollement quand ma mère refusait que je m'installe à Paris, pour éviter les transports. On gérait mon argent, j'étais bloqué. « Trop cher » disait-elle...
Puis il fût question d'une chambre à Evreux, mais je voyais bien que ça coinçait, qu'on voulait pas me laisser partir. Alors, je devais encore reculer.
Et puis un jour, plus rien: on résiste même plus. On pointe un peu, comme ça, à l'anpe (quand c'est pas eux qui vous virent), on traîne dans les bars, on écoute des disques...rideau! J'étais devenu un légume et, bien sûr, on prend des médocs donc on voit bien que ça va pas et puis on a les idées noires et puis on commence à parler tout seul, à confondre le jour et la nuit mais...à qui se confier? Plus d'amis, plus de famille, pas de travail, pas d'argent...tu dors, Grégory Ardoin.
« Tu dors »... je me disais ça tous les jours, mais sans parvenir à me réveiller. Et le temps passe, 27,28,29,30 ans...toujours pas de réaction. Nous allions aux spectacles ensemble, ma mère et moi, prenions des vacances et dinions au resto.
Tu dors...mais rien à faire, jusqu'au jour de ce satané déménagement, quand je compris que j'étais pris au piège, qu'elle m'avais réservé un F1 voisin du sien, à Evreux et que si je ne réagissais pas, j'y finirais surement mes jours. Donc, nouvelles crises, accès de violence, bouffées de chaleur et rebelotte : hosto, en aller-retours, pour commencer, puis pour une période de huit mois.
La dernière, tant mieux, car ils sont pas tous très nets là-dedans. Ni les patients, ni le personnel.
Mes plus belles années, ou celles qui étaient sensées l'être.
Epilogue.
Voilà comment, en gros, on se retrouve à 40 ans passés, sans travail, sans famille et tout à reconstruire. Mais enfin suivi sérieusement.
Mon médecin m'a récemment diminué mon traitement, m'a confirmé que ma maladie connaissait une phase de rémission et même si j'ai tenté de me passer du centre, j'y suis retourné après une petite année: je n'avais rien d'autre à faire, à part écrire, jouer, et chanter. Mais seul. Donc,c'est la mort.
En cinq années de soins adaptés, j'ai repris conscience de mon mal, je ne fais pas d'excès et je prends même plaisir à écrire. Une curatrice gère mon argent sans trop m'embêter et heureusement que je l'ai, parce qu'avec tous ces papiers...
Mais ça aussi, ça passera, un jour.
Je pense souvent à mes parents, au mal que j'ai pu leur faire mais aussi à leur aveuglement devant ma maladie. A ma famille, aussi, qui m'a renié illico. Que font ces gens désormais, et tous ces amis qui réapparaissent sur Internet, bientôt quinze ans après? Ces inspecteurs de travaux finis.
Aurai-je un jour une vie normale, une femme, un travail, des enfants?
Que sera sera!!!
Fin.
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